Do you speak français ?

21 juin 2017
Dans les catégories Le métier d'interprète
Écrit par : David Rousseau

Tous les interprètes vous le diront, rien de tel qu’un orateur qui parle sa langue. Le problème le plus courant rencontré en cabine est sans nul doute celui du « globish » : même si des interprètes ont été engagés pour permettre à chacun de parler sa langue, il reste souvent de bon ton de montrer que l’on parle anglais. Le premier orateur à s’exprimer en anglais entraîne souvent tous les autres, qui ne voudraient pas laisser à penser qu’ils en sont incapables. Mais l’anglais n’est pas toujours idiomatique ou grammaticalement correct : les structures, les expressions et les accents français, espagnols, allemands, chinois ou japonais se parent simplement d’une couche de vocabulaire anglais – choix contreproductif puisqu’il complique le travail des interprètes, jusqu’à le rendre impossible dans certains cas extrêmes. A lot of bread over ze board.

La situation est très courante, pour ne pas dire systématique, et revient peu ou prou à emmener sa voiture au garage, à payer son garagiste, à faire ses réparations soi-même et à repartir avec une voiture qui roule de travers.

le globish au garage

Bah, maintenant, on va vous comprendre beaucoup moins bien, forcément.

Ceci dit, sur le secteur privé, les interprètes sont employés par des entreprises transnationales où, par définition, la majorité des interventions, des présentations, des réunions informelles ou des courriers électroniques se font entre nationalités multiples, avec l’anglais (ou le globish) pour lingua franca. Il n’est donc pas étonnant que cette habitude reprenne le dessus lors d’une rencontre où les interprètes sont présents.

Paradoxalement, la facilité offerte par la présence d’interprètes entraîne souvent plus de difficultés pour des orateurs français « forcés » de s’exprimer dans leur langue : la présentation a été rédigée en anglais, la terminologie spécifique est anglaise, les processus de travail eux-mêmes regorgent de concepts spécifiques en anglais que l’orateur n’a quasiment jamais l’occasion d’exprimer en français.

Le globish dans la langue française

C’est ainsi que l’anglais percole dans l’expression française, dans un festival de « disruption digitale », de « software dans le cloud » et autres « capex benchmarkés selon les indicateurs KPI ». Les théoriciens du complot crieront à la novlangue visant à calmer un climat social parfois tendu (« streamliner le département » passe mieux que « réduire les effectifs du service ») ; nous nous contenterons d’avancer que présenter un document projeté en anglais dans un français irréprochable relève de l’exploit pour un non linguiste.

Jean Claude Van Damme, le roi du globish

Dans la BU Finances, on focus* le cashflow sur une approche cost-centered

Certes, il est difficile de lutter contre la force de l’habitude. Certes, le manque de recul sur des expressions « globish » galvaudées dans le milieu professionnel peuvent laisser croire qu’elles n’ont pas d’équivalent. Et puis, avouons-le, il existe cette crainte de faire « ringard », quand même le Président de la République Française se lance dans des allocutions officielles en anglais.

Les équivalents français du globish

Pourtant, il nous semble que l’effort en vaut la chandelle. Dans presque tous les cas, les équivalents français des éléments de langage anglais donnent au discours une autre dimension, plus littéraire, plus claire, parfois plus poétique, qui permet à l’orateur de faire une plus forte impression sur son auditoire. Pourquoi le cloud computing ferait-il plus sérieux que l’informatique dans les nuages ? Pourquoi le benchmarking serait-il plus clair que la comparaison ? Le premier réflexe, face à ces équivalences, est souvent de se dire « ça n’est pas la même chose »… jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’au fond, ça l’est.

Nous mettons donc au défi nos lecteurs de s’y essayer au moins une fois, lorsque l’occasion s’y prête : faire toute la présentation en français, sans aucun anglicisme – même pour les termes techniques. Ceux qui ont tenté l’expérience ne l’ont pas regretté. Étonnamment, cela demande un travail supplémentaire, conscient, de réappropriation du vocabulaire et des concepts, qui n’a rien d’évident.

Conclusion

Mais on en retire, au-delà de la satisfaction personnelle, un respect diffus de la part de son auditoire, qui aura écouté un discours sortant des sentiers battus par sa précision et sa correction, un atout à ne pas négliger dans la culture française, qui voue un véritable culte à sa langue. Pour les aider, Myriam de Beaulieu, une consœur travaillant aux Nations Unies, a développé cette page à l’occasion de la journée de la langue française. Vous y trouverez des termes anglais très couramment employés dans les réunions internationales, les équivalents « globish » habituellement entendus (souvent incorrects) ainsi que des propositions de tournures, d’expressions ou de traductions. Une mine pour l’interprète et le linguiste, mais, nous voulons le croire, pour l’orateur aussi.

Bonne recherche !


*Astuce d’interprète : si vous êtes francophone et que votre prononciation anglaise est un peu bancale, évitez comme la peste les termes focus et spreadsheet dans vos échanges avec des anglophones.

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